Weekly Torah Portion

Devarim. La réflexion – la plus grande faculté humaine

« Voici les paroles que Moché adressa à tout Israël » (Dévarim 1,1)

En examinant la nature humaine, remarque rav Yéhouda Leib ‘Hasman dans le Or Yahel (tome III), on s’aperçoit que celle-ci se partage en deux catégories opposées l’une à l’autre. D’une part, il y a les hommes qui « pensent », c'est-à-dire qui réfléchissent sur leur existence et qui prêtent une grande attention à chacun de leurs faits et gestes. Ces personnes sont considérées comme des « hommes vivants », dans le sens le plus noble du terme, elles sont l’élite de la race humaine. A l’extrême opposé, d’autres laissent leur cerveau s’enliser dans une profonde apathie, et bannissent de leur quotidien toute démarche intellectuelle. Ce qui sépare ces deux groupes n’est pas moindre que ce qui différencie le Ciel – source élémentaire de toute spiritualité – de la terre – symbole de l’inertie matérielle. Dans notre paracha ainsi que dans la haftara qui lui correspond, nous trouvons une allusion à ces deux types de personnes.Les hommes de la génération du désert nous offrent le modèle de l’homme éminent, ainsi qu’il est dit dans le Midrach : « Parce que les paroles que Moché adresse ici aux enfants d’Israël sont des remontrances, il énumère tous les endroits où ils ont fauté devant le Saint béni soit-Il. C’est la raison pour laquelle Moché n’explicita pas ses propos : il ne les mentionna que par allusion, par égard pour l’honneur d’Israël » (Sifri). A la simple mention des lieux où ils fautèrent, les enfants d’Israël perçurent l’allusion qu’elle contenait.

 

Leur capacité d’introspection était si grande qu’une simple évocation leur suffit pour comprendre aussitôt quelle faute Moché leur rappelait. Pas un mot ne fut dit sur leurs manquements proprement dits, simplement : « “Dans le désert“ – parce qu’ils avaient mis D.ieu en colère dans le désert ; “dans la plaine“ – où ils se vouèrent au culte de Ba’al Pé’or ; etc. »Par ailleurs, nous apprenons que Moché ne prononça ces paroles que peu avant son décès (cf. Rachi verset 3). Pourquoi cela ? Afin que le peuple, n’étant bientôt plus amené à le rencontrer, n’éprouve plus de honte. Ceci révèle une autre disposition propre à « l’homme qui pense » : il possède une telle conscience de sa faute, que le simple fait d’être en présence de celui qui l’a réprimandé suscite en lui une gêne profonde. Si Moché avait formulé ces reproches longtemps avant son décès, personne n’aurait été capable de soutenir son regard, à cause de l’indicible honte qu’on aurait alors éprouvée.

Voyons à présent ce qu’il en est de l’autre catégorie. La haftara rattachée à notre paracha est tirée d’une prophétie d’Icha’ya (1,3), dans laquelle Israël est réprimandé en ces termes : « Le taureau connaît son propriétaire, l’âne reconnaît l’auge de ses maîtres ; Israël quant à lui ne Me connaît pas, Mon peuple n’a pas de discernement. » Le prophète compare ici l’être humain – l’élite de la Création – à un taureau et à un âne, les bêtes les plus ordinaires du genre animal. La diatribe qu’il adresse à Israël est donc sans équivoque : Icha’ya reproche aux hommes de sa génération d’être inférieurs aux plus rustres des animaux !Pourquoi tant de sévérité à leur égard ? Parce que : « Mon peuple n’a pas de discernement. » Si les bêtes reconnaissent d’instinct leur maître, car c’est inscrit dans leur nature, l’être humain peut quant à lui perdre cette disposition. Pour l’homme, reconnaître son Maître dépend de ses choix et de sa détermination à vivre comme un « être pensant » : s’il décide de mettre à contribution « l’Image de D.ieu » qui l’anime – sa capacité à réfléchir –, il deviendra l’être supérieur dont il est dit : « Tu l’as fait presque l’égal des créatures divines, Tu l’as couronné de gloire et de magnificence ! » (Téhilim 8,6). Mais s’il rejette cette aptitude, on pourra lui dire : « N’oublie pas que le moustique t’a devancé [lors de la Création du monde] » – le moustique te surpasse non seulement chronologiquement, mais même dans sa constitution, parce que lui n’oublie jamais Qui l’a créé.

Illustrons notre propos par une image : même lorsqu’un homme dort, il reste en possession de toutes ses capacités. Son sommeil ne change rien au fait que son intelligence et son savoir sont égaux à ceux de ses semblables. Et pour cause : à l’instant même où il se réveillera, il disposera de l’ensemble de ses facultés, sans qu’aucune lui fasse défaut. Toutefois, on ne peut nier le fait que pendant toute la durée de son sommeil, il est un être inanimé, semblable à la pierre. En clair, à ce moment-là, la supériorité de l’homme réside uniquement dans le potentiel de ses aptitudes, garant de son appartenance à la race humaine. La même fonction apparaît dans sa capacité de réflexion : celui qui refuse de « penser » sa vie laisse son intellect sommeiller, il se plonge dans une inertie proche de la mort. Et par conséquent, l’unique espoir d’un homme qui ne réfléchit pas réside dans son potentiel à réveiller son intellect ! Et tant qu’il ne concrétise pas cette faculté, il demeure inférieur au taureau et à l’âne qui, eux, ne peuvent en aucune façon tomber si bas. Le Psalmiste en témoigne d’ailleurs : « L’homme qui ne médite pas sur sa splendeur est semblable aux animaux » (Téhilim 49,13).

La michna enseigne : « Comment frappait-on [la personne passible de flagellation] ? L’homme commis par l’assemblée se tenait au-dessus de lui, tenant dans sa main une lanière de veau […] et deux lanières d’âne » (Makot 22b). La Guémara explique que le choix de ces lanières résulte précisément du verset de notre haftara : « “Le taureau connaît son propriétaire, l’âne reconnaît l’auge de ses maîtres“ – le Saint béni soit-Il dit : Que l’animal qui connaît l’auge de ses maîtres vienne punir celui qui refuse de reconnaître l’auge de son Maître. » Quel terrible opprobre ! Voilà un homme – l’élite de la Création – ligoté à un poteau et frappé par des lanières de taureau et d’âne, comme si ces deux animaux se tenaient devant lui et le rossaient en disant : « Nous te sommes supérieurs ! Puisque D.ieu a statué que c’est à ceux qui connaissent leurs maîtres, qu’il incombe de punir les fauteurs tels que toi, déshonneur de ton espèce ? »En prenant conscience de ce message, la personne ainsi punie éprouvera une honte profonde, certainement plus insoutenable que les coups proprement dits. Et de fait, l’ultime but de ce châtiment est d’arracher l’homme à sa torpeur. Seule la violence de ces coups pourra contrer l’effet des tentations qui l’ont embourbé dans une affligeante léthargie spirituelle.

A la lumière de ces explications, nous prendrons davantage conscience du formidable niveau de la génération du désert, que de simples allusions suffirent à réveiller et à conduire au repentir. Chez ces hommes, les fautes ne résultaient que d’un « léger sommeil » spirituel, dont ils purent s’extraire à l’aide d’une légère « bousculade ». Mais malheureusement, cette disposition ne perdura pas : le niveau du peuple juif ne cessa de diminuer de génération en génération, à tel point que le prophète Icha’ya ne put l’extraire de sa torpeur qu’en usant d’un langage particulièrement violent. A cette époque, il n’était possible de parvenir à ce résultat qu’en lui démontrant que son niveau était devenu inférieur à celui du taureau et de l’âne. Et quelle était la raison de cette déchéance ? Le fait qu’« Israël ne Me connaisse pas, que Mon peuple refuse de réfléchir ».A cet égard, l’étude du moussar constitue notre seule solution, car elle seule peut nous conduire à la réflexion !

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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