Nitsavim. Le triste sort de l’hypocrite

« L’Eternel ne consentira jamais à lui pardonner ! La colère de l’Eternel et son indignation s’enflammeront contre cet homme, et toutes les malédictions consignées dans ce livre s’abattront sur lui » (Dévarim 29,19)

Que signifie « l’Eternel ne consentira jamais à lui pardonner » ? s’interroge rav Eliyahou Lopian (Lev Eliyahou). Il n’est pourtant pas question ici d’un homme invoquant le pardon divin ! Au contraire, il n’éprouve visiblement aucun remords à suivre sa voie, puisqu’il se persuade qu’il « trouvera le bonheur »…En lisant attentivement les versets de cette paracha, nous découvrirons qu’il s’agit en fait d’un homme hypocrite, dont les pensées sont contraires à sa manière d’agir. Il est de ceux qui, d’un côté, savent qu’ils contreviennent aux ordres du Créateur, mais qui, paradoxalement, se considèrent comme d’authentiques Justes. C’est à leur sujet que les Proverbes affirment : « Tel est la conduite d’une femme adultère : elle satisfait ses appétits, s’essuie la bouche et dit : “Je n’ai rien fait de mal !“ » (Michlé 30,20). La Tora l’avait déjà formulé quelques versets plus haut : « Il pourrait se trouver un homme ou une femme […] dont le cœur est infidèle à l’Eternel » – c'est-à-dire une personne qui, par sa bouche, sert D.ieu, prononce des prières et manifeste extérieurement de la crainte divine, mais dont le cœur n’aspire qu’à « servir les dieux des nations »…

Autrefois, le mauvais penchant – cet esprit semblable à une mouche et qui se loge dans les replis du cœur (Bérakhot 61) – incitait les hommes à servir les idoles. Mais depuis que le Sanhédrin a éradiqué l’attrait qu’exerçait l’idolâtrie, le yétser hara’ incite l’homme à s’idolâtrer lui-même – c'est-à-dire à croire que « c’est ma force, la puissance de mon bras qui m’a valu cette réussite » ! Lorsqu’une personne se laisse entraîner par cette idéologie, elle ne voit aucune contradiction entre ses pensées corrompues et les prières qu’elle continue à réciter quotidiennement. Elle a beau se rendre dans les maisons d’étude, prononcer toutes les bénédictions convenablement, il n’empêche qu’au même instant, son cœur se détourne de D.ieu et la convainc de ne servir qu’elle-même. Toutefois, il est certain que ces pensées dévoyées l’induiront tôt ou tard à commettre des fautes. Conscient de cette réalité, cet individu sera bien contraint d’admettre que la menace des malédictions finira par peser sur sa tête. Comment parviendra-t-il alors à faire taire ses craintes ? En se rassurant dans le secret de son cœur. Cet homme est semblable à celui qui, ayant reçu la bénédiction d’un grand Tsadiq, se tranquillise en disant : « Je trouverai le bonheur. » De manière totalement artificielle, cet hypocrite se crée une atmosphère de quiétude, qui lui permet de croire que c’est bien « la puissance de son bras qui lui a valu cette réussite ». Il continuera à confesser ses fautes par sa bouche et non par son cœur, et à demander pardon sans pour autant en penser le premier mot. C’est pourquoi « l’Eternel ne consentira jamais à lui pardonner ! La colère de l’Eternel s’enflammera contre lui… »

Le Ibn Ezra suit la même approche en écrivant dans son commentaire : « “Cet homme se donnerait de l’assurance“ – De quelle manière ? En se disant : “Je trouverai le bonheur tout en me livrant à la passion de mon cœur.“ C’est-à-dire : je vivrai par le mérite des Justes, car eux sont nombreux et moi, je suis le seul à pécher. » Le Sforno écrit également : « “Il se donnerait de l’assurance“ – il acceptera le serment par la bouche, mais il l’annulera dans son cœur, animé de l’assurance que “je trouverai le bonheur“. “ Entraînant la passion assouvie vers celle qui a soif “ – si cet homme accepte le serment oralement, c’est dans le but de lier sa personne, assoiffée de jouissances, aux hommes qui ont soif de D.ieu et qui s’éloignent des tentations matérielles, afin de profiter de leur sort et de leur bénédiction. » Certes, il est indéniable que le monde se maintient par le mérite des Justes, comme le disent nos Sages : « Ce sont les Justes qui permettent au monde de subsister » (Pirqé Avot 5). Mais cette réalité ne signifie pas pour autant qu’on puisse n’éprouver aucune crainte du fait de ses propres fautes, au motif qu’on partagera le bonheur des Tsadiqim. En effet, à aucun moment les fauteurs n’ont reçu la garantie qu’ils seront épargnés d’une punition par le mérite des Justes. Au contraire, nos Sages enseignent que le monde fut créé par Dix paroles, afin de décupler la récompense des Justes qui maintiennent ces Paroles ; et réciproquement, ces Dix paroles, que transgressent les fauteurs, accroissent d’autant leur punition.

Il y a encore une autre raison incitant cet homme à croire qu’il trouvera le bonheur. Dans la mesure où il est dit dans le Talmud que « la royauté terrestre est à l’image de la Royauté divine » (Bérakhot 58), cet homme est enclin à croire que ces deux règnes suivent les mêmes modalités. Or, nous savons que si les pouvoirs publics ont besoin des services d’un meurtrier, ils le disculperont quoiqu’il en coûte, même si la corde de la potence est déjà enroulée autour de son cou ; de la même manière, se dit cet homme sûr de sa bonne fortune, il ne fait aucun doute que D.ieu aura tôt ou tard « besoin de mes services pour le bien de la communauté », et qu’il sera ainsi blanchi de toutes ses fautes. Là encore, si ces considérations ne sont pas tout à fait fausses – le mérite de la communauté ayant effectivement une forte influence sur le sort des hommes contribuant à son bien – on ne peut nullement se reposer sur lui. Au contraire, si ces calculs amènent un homme à se persuader qu’il peut se livrer aux passions de son cœur, sa déception risquera d’être des plus amères, car comme l’annonce ici la Tora : « L’Eternel ne consentira jamais à lui pardonner »…

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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