Choftim. La foi dans les Sages

« Tu procéderas selon la doctrine qu’ils t’enseigneront, selon la règle qu’ils t’indiqueront. Ne t’écarte de ce qu’ils te diront ni à droite, ni à gauche » (Dévarim 17,11)

Selon le Séfer Ha’Hinoukh, le principe de cette mitsva est le suivant : « Etant donné que les opinions des hommes diffèrent beaucoup les unes des autres, jamais une multitude d’avis ne parviendra à un consensus. Or, le Maître du monde, béni soit-Il, savait que si l’interprétation des versets de la Tora était offerte à tout homme, chacun selon sa perception, chaque personne viendrait à interpréter les paroles de la Tora selon sa compréhension personnelle. L’explication des mitsvot deviendrait alors l’objet de multiples controverses au sein du peuple juif, et la Tora se fractionnerait en plusieurs Torot. […] C’est pourquoi l’Eternel, le Maître de la sagesse, intégra dans Sa science parfaite cette mitsva, qui consiste à s’en remettre uniquement à l’interprétation exacte, telle que reçue des Sages des générations passées. Et ainsi dans chaque génération, nous devons nous en remettre aux Sages contemporains, qui ont reçu leur science de leurs prédécesseurs et s’abreuvent à leur source. Pour cela, ils s’absorbent jour et nuit dans l’étude de leurs enseignements et de leurs discussions, pour les comprendre profondément. Si l’on suit cette voie, nous trouverons le chemin de la vérité dans une compréhension authentique de la Tora. Mais dans le cas contraire, si nous nous laissons séduire par nos pensées et l’indigence de nos conceptions, nous ne connaîtrons jamais la réussite.

A un niveau plus profond encore, nos Sages idéalisèrent la mitsva de “ne pas t’écarter de ce qu’ils diront ni à droite, ni à gauche“, en ajoutant : même s’ils te disent que la droite est gauche, ne t’écarte pas de leurs enseignements ! Autrement dit, même si les Sages d’Israël se trompent dans un domaine quelconque, il ne convient pas pour autant de les contester : il faudra au contraire les suivre dans leur erreur. Car il est préférable de souffrir d’une erreur – qui permettra au peuple entier de rester toujours soumis à leur vision éclairée –, plutôt que de laisser chacun agir comme bon lui semble, ce qui conduirait fatalement à l’anéantissement du judaïsme, à des dissensions au sein du peuple et à la fin de notre nation. C’est en vertu de cela que l’interprétation de la Tora fut confiée uniquement aux Sages d’Israël, et que nous sommes également tenus de faire fléchir la minorité face à la majorité. »

Par ce développement, le Séfer Ha’Hinoukh apporte un éclairage à la discussion citée par la Guémara (Baba Métsi’a 59b), dans laquelle s’opposèrent Rabbi Eli’ézer et les Sages concernant le « four d’Akhnaï » – un four d’une forme particulière, dont le statut de pureté fut l’objet de leur désaccord. Le Talmud relate qu’après que tous les arguments de Rabbi Eli’ézer furent repoussés, ce dernier voulut prouver la justesse de son opinion à l’aide de différents prodiges : un gros caroubier se déracina de son emplacement, une rivière remonta son cours, les murs de la maison d’étude menacèrent de s’effondrer. Finalement, une Voix sortie du Ciel proclama qu’il avait raison ! Pourtant, tous ces phénomènes n’eurent aucun effet sur la décision des Sages : s’il est dit que « la Tora n’est pas dans les Cieux » (Dévarim 30,12), cela signifie que depuis le Don de la Tora, c’est à la majorité de trancher la loi, et non aux prodiges de la nature ! A la suite de ce récit, la Guémara raconte que Rabbi Nathan rencontra peu après le prophète Eliyahou et lui demanda ce que le Saint béni soit-Il avait fait pendant ce temps. Le prophète répondit : « Il riait en disant : “Mes fils M’ont vaincu ! Mes fils M’ont vaincu !“ »

Il serait absurde, précise le Séfer Ha’Hinoukh, de croire que les hommes aient effectivement « vaincu » D.ieu dans ce débat. Il convient plutôt de comprendre comme suit cette déclaration : dans l’absolu, c’est effectivement Rabbi Eli’ézer qui avait vu juste, comme le démontrèrent les prodiges et la Voix du Ciel. Cependant, comme ses compagnons ne parvenaient pas à comprendre son point de vue, celui-ci ne put être retenu et il fallut s’en remettre à la majorité. Le principe exigeant que « l’on fléchisse dans le sens de la majorité » signifie en effet que même lorsque celle-ci est dans son tort, c’est néanmoins sa décision qui prévaut. C’est pourquoi D.ieu proclama : « Mes fils M’ont vaincu », car bien qu’ils se soient trompés dans leur jugement, il convient néanmoins de faire fi de la vérité pour se conformer à la mitsva de « fléchir dans le sens de la majorité ». Et à cet égard, c’est comme si D.ieu avait été vaincu, car l’erreur eut gain de cause face à la Vérité absolue.

Cet extrait est issu du livre « Lekah Tov » publié par les éditions Jérusalem Publications, avec leur aimable autorisation. Tous droits réservés.

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